Le monde de la régulation technologique européenne est secoué par de nouvelles révélations troublantes. Une enquête menée par trois ONG vient de mettre en lumière l'ampleur insoupçonnée du lobbying des géants de la tech dans les coulisses de Bruxelles, notamment lors des discussions cruciales sur le Digital Markets Act (DMA).
Une transparence mise à mal
L'histoire commence en mars dernier, lors de six ateliers organisés par la commission européenne. L'objectif ? Évaluer la conformité des "gatekeepers", ces géants du numérique comme Google, Amazon, Apple, Meta, Microsoft et ByteDance (TikTok), aux nouvelles règles du DMA. Mais ce qui devait être un exercice de transparence s'est révélé être un cas d'école de dissimulation. Plus d'un participant sur cinq n'a pas déclaré ses liens avec l'industrie lors de son inscription. Un chiffre qui fait froid dans le dos quand on sait l'importance de ces réunions pour l'avenir de la régulation numérique en Europe.
Un réseau d'influence tentaculaire
Les chercheurs ont découvert un véritable écosystème d'influence, composé de cabinets d'avocats, de sociétés de lobbying, d'associations professionnelles et de think tanks. Parmi les cas les plus frappants:
Des cabinets comme FleishmanHillard et Flint Europe, représentant plusieurs géants de la tech, ont participé sans mentionner leurs affiliations
Plus de 1 000 avocats étaient présents, dont un tiers n'a pas révélé leurs liens avec les "gatekeepers"
Le cabinet Freshfields, qui compte parmi ses clients Apple et Meta, a envoyé 81 représentants
David contre Goliath
Les chiffres parlent d'eux-mêmes, 80 employés à la commission européenne face à 106 employés des "gatekeepers", soutenus par 282 avocats et lobbyistes. Une asymétrie de ressources qui inquiète les experts, dont Tommaso Valletti, ancien économiste en chef du département de la concurrence de la commission:
"Les conflits d'intérêts et le manque de transparence ont contribué à brouiller la frontière entre expertise et plaidoyer dans la politique de concurrence et la réglementation", alerte-t-il.
Une situation qui menace l'efficacité même du DMA.
L'urgence d'une réforme
Face à ces révélations, les ONG appellent à un renforcement urgent des capacités d'application de l'UE. Max Bank, de LobbyControl, compare la situation à "un scénario classique de David contre Goliath". Sans une réaction forte, le DMA risque de ne pas tenir ses promesses de limitation du pouvoir des GAFAM. L'ICLE (International Center for Law and Economics), interpellé sur ses liens avec Amazon et Meta, s'est finalement inscrit au registre de transparence de l'UE ce 29 octobre, après avoir été contacté par la presse. Une petite victoire pour la transparence, mais qui souligne l'ampleur du chemin restant à parcourir. La bataille pour une régulation efficace du numérique ne fait que commencer. Et si l'Europe veut vraiment tenir tête aux géants de la tech, elle devra d'abord s'assurer que le terrain de jeu est équitable.